Chroniques de Westeros

Journal de Pierre de Quercy

Mardi 2 juin 2009, par Pierre // Westeros

Loin de moi l’idée de faire une œuvre biographique, il y a eu dans l’histoire de ce monde de véritables héros, et mon récit ne saurait rivaliser d’intérêt avec leurs aventures. Si j’écris ces pages, c’est avant tout pour me délasser, car je passe mes soirées entières à remplir des livres de comptes et des documents officiels, si bien que si je ne trouve pas une autre raison d’écrire, je serais rapidement écœuré par mon talent.

Car je considère en effet que l’écriture est un talent, un passe-temps bien plus noble que la joute ou la guerre, et les hommes étant rares à en user, je considère que c’est un devoir pour moi de laisser un écrit. Ce récit perdurera bien après ma mort, et mes descendants, si j’en ai, pourrons lire mon histoire, et en tirer de précieux enseignements.

C’est mon père qui avait pris les dispositions pour m’assurer une éducation. C’est l’une des seules décisions sages de ce vieil imbécile, et encore fut-ce pour de mauvaises raisons. Il avait décidé que même si j’avais été légitimé, le comté ne pourrais revenir à un bâtard, et à un « fils de sorcière » qui plus est, comme il se plaisait à me rappeler lors de ses crises de colère quotidiennes. Le comté fut attribué à Bertrand le Lourd, mon frère cadet… Ce dernier devait se concentrer sur sa formation de Comte, c’est à dire jouter, se battre, et tenir l’alcool. Quant à moi, ma formation me permettrait de l’ « aider » à la gestion de la province.

A la mort de mon père, mon frère et moi nous repartîmes les tâches : j’engrangeais l’argent, il le gaspillait, je rendais la justice, il guerroyait, je me cultivais, il buvait.

A plusieurs reprises, on me demanda pourquoi je ne le faisais pas disparaître. Mais ce parasite était malgré tout mon frère, et j’ai toujours eu un sens aigu de la morale, si bien que ce crime m’aurait à tout jamais ôté le sommeil.

J’ai la conviction que ce sens de l’éthique, si handicapant pour un politicien, me vient de ma mère. Non pas qu’elle me l’ai enseigné, mais parce qu’elle m’a maudit…

Le jour de son exécution, l’inquisiteur et mon père lui laissèrent une chance de se repentir avant d’allumer le bûcher, en lui ôtant son bâillon. Elle prononça ces mots, que j’ai pu retrouver dans les dossiers du scribe inquisiteur :

« Tyran odieux, vous m’enlevez mon enfant, mais sachez qu’il ne sera pour autant jamais des vôtres ! Vous êtes bêtise, colère et force. Lui sera sage, il portera sur le monde un regard sans haine et disposera d’une puissance que vous n’obtiendrez jamais par les armes. Chaque fois qu’il marchera sur vos trace, il sera accablé par la peine, et il ne trouvera le salut qu’en défaisant l’injustice que vous semez. »

Il me fut facile d’améliorer les finances du comté, non pas que je sois particulièrement doué, mais à cause de l’incompétence de mes prédécesseurs. Je ne pris pas la peine de dissimuler mes livres de compte, sachant le comte illettré. Mais je fus trahi par un collecteur d’impôts, qui révéla à mon frère un excédant budgétaire, et la diminution de l’imposition que j’avais ordonnée en conséquence.

Bertrand le Lourd décida d’employer l’argent pour étendre son pouvoir en Drasnie. Son plus grand rival était le seigneur Falco, un homme intelligent mais tout aussi cruel que mon frère. Le duc de Torth autorisa ses deux vassaux à régler leurs différents frontaliers, et chacun leva une armée avec l’argent que leurs paysans avaient durement gagné.

Je m’étais fortement opposé à cette guerre. Aussi, en pensant m’humilier, Bertrand fit confectionner pour moi une splendide armure de plate, qu’on me remit lors d’un grand banquet. Je surpris toute l’assemblée en acceptant le présent, et en annonçant que je prendrais part à la bataille. Malgré l’inutilité du combat, je pensais que ma place était aux côtés de nos hommes.

Les armées se rencontrèrent dans la cuvette de Fougerolles. Le terrain doublement en pente était propice à la charge mais rendait la fuite difficile, aussi les pertes furent inhabituellement élevées dans chaque camp. Après une demi-heure de combat, la moitié des combattants gisaient au sol.

Selon les règles de la guerre, les chevaliers évitaient d’engager le combat avec la piétaille pour défier leurs pairs. Ainsi, vers la fin de la bataille, je fus désarçonné par le seigneur Falco en personne, à moitié assommé par son coup de lance. Mon frère passa rapidement près de moi, et j’entendis un rire métallique provenant de son casque. Falco, qui aurait facilement pu m’achever par un second passage, voir me donner en pâture à ses fantassins, avait choisi de jouer avec sa proie : il mit pied à terre, dégaina son épée et avança vers moi. Je voulu me relever pour lui faire face, mais mes jambes ne me soutenaient plus et je tombai à genoux. Il me cria « Alors, Bâtard de Quercy, tu n’es même pas foutu de mourir dignement ! ».

La colère m’envahit et je mis de toutes mes forces un coup d’épée circulaire à hauteur de mes épaules. La lame lui sectionna la jambe gauche et se coinça dans le cartilage du genou de la droite. Il tomba en arrière en hurlant, cherchant à se rattraper avec la jambe qu’il ne possédait plus. Aveuglé par le sang et ne trouvant plus mon arme, je pris le premier objet à ma portée, son bouclier, et lui fracassa la tête jusqu’à ce qu’il se taise. Mais même avec la mâchoire défoncée il continuait de se débattre. Je paniquais : Par pitié Falco ! Pourquoi ne veux-tu pas mourir ? Je continuais de frapper avec son écu, mais en utilisant cette fois le tranchant, et finit par l’enfoncer profondément dans son thorax. C’était terminé. Je me dis alors : je l’ai tué… j’ai vaincu l’ennemi de ma famille… mon père serait fier de moi. Cette pensée m’horrifia. Mes forces finirent par m’abandonner et je m’évanoui à côté de la masse informe de chair et de métal que je venais de sculpter.

A mon réveil, je découvris que mon frère avait mit en déroute les autres chevaliers, et il criait victoire. Mais quelle victoire ? La plaine était couverte de cadavres que les oiseaux et les rats commençaient à dévorer. Le tout pour que quelques lopins de terre changent de main. Je ressentais de la peine pour chacun des hommes qui étaient tombés, et de la honte pour tout ceux que j’avais moi même tué.

Après qu’il m’ait abandonné à la merci de l’ennemi, je ne me sentais plus lié par les liens de sang qui m’unissaient à Bertrand. N’étant pas son vassal, j’avais le droit de partir à tout moment, et j’espérais trouver quelque part un seigneur qui aurait la même conception de la morale et d’une bonne administration. Mes recherches furent vaines en Drasnie, où l’étroitesse d’esprit et la ferveur religieuse ne laissaient aucune place à un idéaliste, fils de païenne qui plus est. Je fus alors obligé de rechercher à l’étranger, et je me mis au service d’un baron hellène, sir Hubert de Guillon. C’est en fait là que mon aventure commence…

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