Soleil brûlant

William Cazinsky

Mercredi 27 mai 2009, par Pierre // Soleil brûlant

Le gamin est excité comme une puce. Même sans mes pouvoirs psychiques, je l’aurais deviné à la manière dont il tient son arme.

« Arrête de faire le con Tim, ou c’est moi qui prend le flingue. On n’est pas dans un de tes westerns à la con ! »

Timmy est fan de western alors qu’il n’en a vu qu’un : « Butch Cassidy et le Kid ». Résultat il a choisi ce surnom stupide : « le Kid »... A sa place j’aurais choisi Cassidy… Il collectionne aussi tout ce qui a trait avec le far west. Pour notre patrouille, le piston aidant, l’armurier était prêt à lui filer un automatique ; mais non, il a fallu qu’il prenne ce foutu revolver à six coups ! Moi j’aurais toujours pu me gratter pour avoir un flingue, filer du 9mm à un vieillard borgne comme moi ça serait du gaspillage.

« Putain c’est bon Willy ! Je vais faire gaffe, laisse moi mon Colt… ».

Ses émotions le trahissent : à aucun moment il n’a pris ma menace au sérieux. Il a raison…

Je fous quand même une bonne claque dans la gueule du kid. Pour son arrogance.

« Tim, il faut toujours être sur ses gardes quand on sort du camp. Et regarde toujours bien de ton côté, j’ai un angle mort avec mon œil… »

La patrouille continue… une heure de marche… le kid descend deux coyotes qui s’étaient approchés. On pourra toujours les faire cuire. On reprend la route…

Soudain un coup de feu retentit.

Le kid s’effondre.

Je me jette derrière une carcasse de camion et tire le corps du gosse jusqu’à moi. Je n’ai pas vu le tireur : normal, il devait venir par la gauche… si le gamin avait suivi mes conseils au lieu de rêvasser ! Notre couvert n’est pas parfait, mais notre ennemi ne gâchera pas ses balles pour un blessé et un vieillard. Le temps qu’il arrive jusqu’à nous pour nous achever, je dois m’occuper du gosse.

Blessure à l’abdomen… même si j’arrête l’hémorragie, ses chances sont faibles. Je tente quand même le coup.

J’ai appris la médecine dans mon ancien clan. Enfin, j’étais plutôt un infirmier. Il y avait un autre Psy pour assumer la fonction de médecin. Il était bien meilleur que moi, dans tous les domaines scientifiques. Je n’étais qu’un assistant. Tout le monde me considérait comme un raté. J’étais intelligent comme un humain normal, et j’avais le physique rachitique des Psys. A l’époque mes pouvoirs psychiques m’étaient presque tous inconnus. J’étais un boulet pour le clan, et la cible de toutes les moqueries. Un jour, j’ai pété les plombs. J’ai décidé de ne plus jamais me laisser faire, et de ne plus laisser passer la moindre insulte. Au départ je me suis pris un certain nombre de dérouillées, et ça m’a poussé à m’entraîner intensément. Après quelques années, je suis devenu vraiment fort… enfin dans la moyenne humaine quoi. J’ai alors décidé de devenir un guerrier. J’aurais dû me douter que mon petit cœur de Psy ne supporterait pas un tel traitement…

L’hémorragie est stoppée, le gosse aura peut être une chance ! Mais j’entends l’ennemi s’approcher. Le kid tient son Colt serré entre ses doigts. Je lui prends. A cause de ces foutus coyotes, il ne nous reste que deux balles. Mais j’ai l’avantage, l’ennemi croit sa victoire acquise, je sens qu’il ne se méfie pas.

Je sors brusquement de mon couvert. L’homme est à 5 mètres de moi, il a l’air surpris de voir mon arme.

Je tire.

Manqué.

Je n’ai aucune excuse, même quand j’avais deux yeux j’étais un tireur merdique. Mon ennemi est un homme grand et robuste, et certainement un combattant expérimenté. Il a compris qu’il n’avait pas le temps de prendre sa carabine et il bondit vers moi un couteau de chasse à la main.

Je le flingue à bout portant avec ma dernière cartouche.

L’homme est projeté en arrière. Mais je n’aime pas le bruit que j’ai entendu. Un bruit métallique. La balle a dû ricocher sur son armure.

Je me jette sur lui avant qu’il ne se relève et j’enchaîne les coups de poing. Mais il est jeune et robuste alors que je suis vieux et malade… Mon cœur commence à palpiter, j’ai des fourmis dans le bras gauche… je dois m’arrêter avant de faire une attaque.

L’homme en profite, il se relève, me saisi à la gorge. Sa poigne est comme un étau.

Je vais mourir, c’est fini.

Mon regard se pose sur le gamin. Si je meurs, lui aussi crèvera là, il faut que je me batte pour lui…

Je fixe mon adversaire dans les yeux et me concentre. Je suis capable de sentir ses émotions, donc d’une certaine manière d’entrer dans son esprit. J’ai jamais rien tenté de tel, mais il doit y avoir un moyen de foutre le bordel, de court-circuiter son cerveau.

L’homme me sens pénétrer son esprit, et serre encore plus fort sur mon cou pour m’en empêcher. Mais je sens que je franchis une à une toutes ses barrières psychiques. Si je survis encore quelques secondes…

Il y a un violent clash, comme un éclair.

Les mains qui me broyaient la gorge m’ont lâchées. L’homme se tient le crâne en hurlant, tombe à genoux, puis s’allonge et se met à convulser…

Je n’ai même pas pitié. Je lui donne un coup de talon dans la nuque.

Il ne bouge plus.

Je lui prends la carabine qu’il a en bandoulière, et le frappe avec la crosse… pour être sûr. Je m’arrête en entendant le gamin tousser derrière moi. Il crache du sang.

Son sang est noirâtre. Merde !

C’est foutu pour lui.

***

Je répète pour la quatrième fois mon compte rendu de patrouille, mais John a encore des questions. La perte d’un homme aussi jeune est l’une des pires choses qui puisse arriver dans un clan, alors je comprends.

Et puis John est un brave gars, je sais qu’il me croit, il veut juste connaître les détails pour les expliquer à la famille...

Bruce entre dans la pièce. En sa présence j’ai toujours perçu de la méfiance et du mépris. Mais là, c’est beaucoup plus fort : un mélange de colère, de haine, de tristesse…

C’est si intense que ça m’est insupportable. Il faut que je sorte.

Bruce me traite de sous-homme alors que je passe la porte. Je n’ai pas l’habitude de me laisser emmerder, mais ce coup-ci je ne peux pas lui en vouloir.

Il a perdu un fils…

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